Ici, les palmiers sont couverts de guirlandes lumineuses; les rickshaws transportent des cadeaux emballés dans du papier journal, noués avec des lianes et décorés d`une fleur de lotus; les étales sont remplis de confiseries et de gros gâteaux colorés; les sādhus marchent dans les rues en chantant "OM, Il est né le divin enfant, OM"; les passants ont troqués leurs écharpes nouées sur la tête et leurs bonnets Nike ou Adidas contre des coiffes de père Noël, les vaches sacrées préparent la crèche, les enfants font des grands bonhommes d`épices en leur mettant un piment pour le nez, des noix de muscades pour les yeux et des bouts de noix de coco pour les oreilles; des étoiles argentées clignotantes flottent sur le Gange et tout le monde les regardent en se disant "Krismas ki subhkamna" qui veut dire "Joyeux Noël en hindi : voilà mon rêve de Noël indien, celui qui se balance dans ma tête et que je vois en fermant les yeux. En vrai, tout est comme d`habitude !
Toute aventure sur le long court comporte des moments de doute et les miens, qui ont durés une semaine, ont fini par s`envoler, il y a deux jours à Sultanganj, peut être emportés par l`épaisse fumée des crémations en séries auxquelles j`ai assistées. A marcher perpétuellement seul dans des endroits où les européens ne vont pas et face à des paysages un peu vides et pousserieux, je me suis parfois demandé si un tour en train de 6 mois en Inde, pour voir les sites touristiques, n`aurait pas été plus intéressant et enrichissant.Ce fut une semaine de marche sur une large route de terre avec très peu de trafic et peu de rencontres. J`ai traversé la région rurale la plus pauvre que j`ai pu voir dans ma vie. Ce n`est pas une pauvreté dont les signes se montrent à l`excès comme dans les grandes villes, mais une pauvreté indiquée par l`absence. A Calcutta, la pauvreté se voit par l`entassement des logis les uns sur les autres, les maladies, les infirmités, la grande saleté, mais dans les régions du nord Jharkhand et de l`est Bihar que j`ai traversées, il n`y a rien de tout cela, car il n`y a rien. C`est la désolation ! Les maisons sont en paille et en bois, il n`y a pas d`électricité, pas de bitume, les cultures sont chétives et les animaux de ferme peu nombreux. Les gens ne semblent pas en mauvaise santé, ne sont pas sujets à des infirmités, les villages et les routes ne sont pas sales bien que poussiéreux, mais ces gens semblent comme accablés par le manque et c`est pour cela que les visages étaient beaucoup plus fermés vis à vis de moi que précédemment. Je n`ai pas été tranquille toute cette semaine, sentant souvent l`incompréhension et la convoitise des paysans face à ce portefeuille sur patte qui se déplaçait devant eux, Aucun soucis réels malgré deux petites mésaventures, dont j`ai pu me sortir une premiere fois en me délestant d`une petite somme et une seconde fois grâce à une moto qui passait par là, me font dire que j`ai eu de la chance.
Petit à petit, les indiens, contre qui je peste parfois car la perpétuelle attention qu`ils me portent est étouffante, m`ont redonnés le goût de ma marche. En me lançant le défi de marcher aussi longtemps, je me disais qu`il y avait, entre autre chose, une quête intérieure mais je ne saurais dire s`il y a du vrai là dedans. Ce que je sais maintenant, c`est que ma réelle motivation est de venir chercher des histoires que l`ont ne vit pas en touriste classique. Il y a eu par exemple, ces trois étudiants qui me voyant de leur train ont décidés de descendre à la station suivante et sont arrivés grâce à un camion, tout cela pour me demander si j`avais besoin d`aide. Il leur a fallu une heure et demi de marche pour retourner à la gare et ils me disaient qu`ils étaient fatigués car ils n`avaient pas l`habitude de marcher. Cet homme particulièrement interlope et baraqué qui à mon approche a arrêté une des rares voitures qui passait par là pour me mettre de force à l`intérieur et alors que je lui disais que je voulais marcher me tenait fermement par le poignet et l`épaule en me poussant à l`intérieur. Cela venait d`un bon sentiment et je crois que, vu le bonhomme, je n`avais rien d`autre à faire qu`accepter, car il aurait été capable de me foutre une raclée. Je me suis retrouvé dans une voiture avec dix personnes les unes sur les autres, collé à des visages inoubliables. Puis, ce fut la police qui un jour a décidé de m`escorter sur le long terme. Ils me disaient que la région était dangereuse mais j`avoue qu`après ce que j`avais traversé, la région me parasait beaucoup plus sûre. Depuis deux jours, il y a du trafic routier, des personnes sur la route vers lesquelles je peux me diriger en cas de problème. Puisque je refusais de faire de la voiture, ces policiers armés de fusils m`ont escortés pendant une heure et demie. Ils me devancaient d`un kilomètre, attendaient que j`avance et me rejoignaient, etc. Puis, ils m`ont dit qu`ils allaient me laisser mais qu`une autre voiture allait venir, En effet, en sens opposé, une autre escadre de police est venu et celle ci m`a suivit au pas, cinq metres derrière. Au bout de trois quart d`heure, j`ai cédé et suis monté avec eux. Les dix kilomètres faits ensemble ont été vraiment sympathiques. Ils m`ont déposés un peu avant ma ville d`étape et je croyais l`histoire finie. Arrivé en ville, une moto de deux policiers m`a escortée partout où j`allais. J`allais au fleuve, ils me suivaient; au temple, également; faire des courses, encore, et ils m`ont accompagné jusqu`à mon hôtel si on peut appeler ça un hôtel. Cette même journée, j`ai croulé sous les interviews ; quatre de presse écrite et une de télévision. Cela avait commencé quelques jours auparavant, quand passant sous les bureaux d`une maison de presse, un journaliste est descendu m`interviewer. Je ne sais même pas si je serais capable de reconnaître un exemplaire du journal en question et de toute façon, c`est écrit en hindi. Puis, de temps en temps des gens se disant journalistes viennent me poser des questions dont ils écrivent les réponses sur leurs calepin. L`homme de la presse télé m`a filmé et un autre homme tenait un de ces micro de télévision avec le nom de la chaine dessus, C`était en hindi mais il m`a dit que c`était ITV, sans doute une chaîne d`information et que cela serait diffusé "All over India". I`m big in India : qu`on se le dise ! Je ne sais pas s`il fera quelque chose et de toute facon, je ne serai pas au courant même s`il a mon email. Et la police attendait la fin de l`interview pour continuer de m`accompagner.
J`ai vu la chose la plus incroyable de mon existence : deux sādhus faisant un pèlerinage allongés sur le sol. C`est à dire qu`ils bénissent le ciel les mains jointes puis s`allongent entièrement par terre, en tenant un petit bâton avec lequel ils font un arc de cercle sur le sol pour marquer l`étape, puis se relèvent, font un pas et se rallongent, etc. C`est fascinant à voir et c`est tellement irrationnel, stupéfiant et surhumain que l`on ne se demande plus l`intérêt de la chose mais l`on est émerveillé qu`un homme soit capable de faire cela. J`ai pu discuter avec eux et ils font deux cents kilomètres d`un important lieu spirituel à un autre mais j`ai oublié de leur demander combien de temps ils mettaient. A mon avis, ils ne font guère plus de 7 kms par jour. En plus, ils n`ont rien : torse nu et pieds nus.
Dans le chapitre histoire naturelle ; j`ai vu un bébé chèvre faire des cabrioles sur le dos d`un buffle couché. Puis, le buffle tournant la tète, il y a eu comme un baiser sur la bouche entre les deux animaux.
Je vous souhaite à tous un très joyeux Noël et si j`arrive à publier ce post, je serais très heureux car les coupures Internet sont très fréquentes ainsi que les coupures électriques. Hier soir, c`était toutes les vingt minutes à l`hôtel. Il n`y a pas d`éclairage public et ceux qui ont un générateur le branchent, les autres vivent à la bougie et à la lampe électrique. Est ce que c`est parce que dans les campagnes les paysans se branchent directement sur les lignes électriques ? J`en ai vu un déposer avec un bâton un petit fil métallique directement sur la ligne en fonctionnement. Il doit quand même avoir un transfo à l`intérieur de la maison, j`imagine.
Je suis à Munger pour un repos bien mérité de deux jours. C`est une ville fortifiée presqu`entierement entourée par le Gange.
JOYEUX NOËL
Quel plaisir de te lire Tanneguy ! Bravo pour tous ces kilomètres avalés et pour les aventures diverses et variées. Tu me régales alors que le noel parisien est étouffant. Bravo, merci et hâte de lire la suite…
Belle route.
Bravo Tanneguy pour cette aventure que je suis régulierement et qui me permet d'imaginer un peu ce que ce type de voyage peut apporter en ouverture sur soi et sur les autres. Autrement enrichissant que de rester chez soi dans un petit confort routinier. Merci de nous en faire profiter et bonne route !