« L’Inde chante, n’oubliez pas cela, l’Inde chante. » Henri Michaux, Un barbare en Asie
A l’époque où tous les ailleurs se révèlent voisins : quoi de plus exotique qu’un voyage dans le temps ! Le temps des mythes, de l’irrationnel, de la ferveur religieuse d’une nation moderne dont le fleuve sacré offre le salut, le temps du nomadisme retrouvé, de la vie communautaire en plein air, de la croyance en l’utilité des pèlerinages, le temps où les éléments se divinisent, où la technique s’arrête, où la cité est envahie par les éléphants, les chevaux, les chameaux, les palanquins, les chariots, tous conduits par des ermites, des hommes nus, des hommes cendrés, le temps de l’extravagance des modes de vie, du folklore, le temps de l’alliance de la démesure et de l’intériorité, le temps de l’invraisemblable : c'est la Kumbha Mela, celle qui a lieu tous les douze ans, la Maha Kumbha Mela.
Et voici pour moi le début du voyage : l'idée qui m'a fait partir ! Ensuite, il y a la marche, la nature, les grands espaces, les rencontres. Cette pensée que marcher engendre l’autonomie et la liberté. Peu de besoins, peu de biens, donc peu de dépendances. L’homme se libère de la croyance en l’indispensable. Le resserrement des choix ouvre le chemin de l’essentiel et affranchit des interminables projections. Tenter de vivre véritablement l’instant. Goûter au débordement en soi de cette nature qui nous dépasse. Vivre la marche comme le luxe qui permet de ressentir fortement les découvertes, puisque l’effort procure l’émotion de la conquête et que la lenteur ouvre la profondeur des choses. Et, si le marcheur se rend vulnérable, il est aussi entièrement disponible pour la rencontre.
Le Gange est un élément important de la culture indienne. Elle est Ganga Mata, Mère Gange, Mère Divine. Plus de huit cents millions d’hindous le vénèrent et cent millions de musulmans le respectent. Pour les hindous, l'immersion dans le Gange lave le croyant de ses péchés et la dispersion de ses cendres dans le fleuve lui apporte une meilleure vie future. Il n’existe pas un autre fleuve au monde pour lequel on ait imaginé autant de noms, près de mille : « Délectable pour les yeux », « Porteuse de chance », « Dissipant la peur », « Mère de tout ce qui vit » « Incarnation de l’esprit suprême », « Source de bonheur », « Mélodieuse »… Même pour l’agnostique Nehru, le fleuve avait son importance. Dans son testament, il écrivait : « Le Gange est le fleuve de l’Inde aimé de son peuple, autour duquel s’intègre ses souvenirs collectifs, ses espoirs et ses craintes, ses chants de triomphe, ses victoires et ses défaites… Le Gange a été pour moi un symbole et un souvenir du passé de l’Inde se précipitant dans le présent et s’écoulant dans le vaste océan de l’avenir. »
Alors, attiré par la Khumba Mela, pourquoi ne pas remonter le Gange à pied et, au fil des villes saintes, se pénétrer de la magie de l’Inde et de la singularité de l’hindouisme ? Du delta à la source, de novembre 2012 à mai 2013, car pour les hindous l’important est de remonter à la source, de remonter à « l’origine » et que la Khumba Mela a lieu à Allahabad, au confluent du Gange et de la Yamuna, du 27 janvier au 25 février 2013.
Tanneguy Gaullier