Kolkata – Chunchura (55 km) en deux jours.
Il faut avouer que depuis que j`ai quitté Calcutta, ma randonnée ressemble assez peu à mon rêve de Gange. Des villes enfumées, embrouillées, embourdonnées se succèdent et il ne m`est pas souvent possible de voir le fleuve. Je me suis d`abord pas mal perdu n`ayant pas les cartes appropriées puisqu`elles n`existent pas mais heureusement ma boussole me permet de ne pas trop m`éloigner de mon but. Parfois, je prends des repères comme cette voie de chemin de fer que j`ai suivi sur quelques kilomètres. J`avais eu le projet initial de faire un détour pour me rendre dans la ville où est né Ramakrishna mais je me suis aperçu que m`éloigner du Gange était trop incohérent et perturbant. C`est drôle mais la semaine de marche prévue à l`écart du fleuve m`est apparue comme étant un facteur de doute et de perte de sens. Le Gange est comme ma main courante, l`appui qui donne sens à ma venue en Inde et il ne faut pas trop m`en écarter sous peine de connaître l`indécision. Je suis donc allé au centre Ramarkrishna de Kamar Pukur (90 km a l`ouest de Calcutta) en bus et je suis revenu. J`ai été très bien accueilli encore une fois. J`ai été invité à déjeuner à la table VIP (c`est comme ça qu`ils l`appellent), c`est à dire qu`il y avait devant mois cent cinquante personnes assises par terre et je déjeunais à table devant elles, accompagné par quatre invités. Bien qu`évidemment végétarien, le repas était particulièrement succulent. C`était très intéressant de voir cet ashram avec les lieux de vie de Ramakrishna et de nombreux préceptes de son disciple Vivekananda qui disait par exemple que l`homme n`avait pas intérêt à changer de religion mais qu`il fallait qu`il approfondisse les autres religions pour parfaire sa vision et sa proximité de Dieu. Ce genre de non prosélytisme et d`universalisme me plaît bien surtout quand on connaît la stature spirituelle de cet homme. (Il impressionna beaucoup lors du parlement des religions de Chicago de 1893).
Je croise parfois des vagabonds illuminés, ceux que Jack Kerouac appelait les clochards célestes et qui vont pieds nus sur le goudrons chauffé par le soleil en se parlant à eux mêmes, à Dieu, ou à l`humanité toute entière. Je les envie un instant car ils n`ont aucun problème de pieds sans protection alors que le riche européen que je suis a mal aux pieds avec ses chaussures à cent euros.
Il m`a été offert de voir le plus long serpent jamais vu d`aussi près. Tout à coup a jailli d`un buisson au bord du chemin un serpent de deux mètres qui devait être un peu abêti par le soleil (35 degrés ce jour là) car il m`a manqué de deux mètres en lançant son attaque bien trop tôt. Je suis resté pétrifié ! Je ne savais pas qu`un serpent pouvait bondir de la sorte.
Je suis passé ce midi à Chandernagor, le fameux ancien comptoir français. C`est amusant de voir qu`il y a encore sur les murs la devise de la république : "Liberté, Egalité, Fraternité". Je me suis cru en France tout à coup !
Plus tard, j`ai assisté à un enterrement. Sur un petit sommier en bois gisait un mort porté par six hommes grâce à des barres de bambous. Le mort était vêtu d`un drap orange et de nombreuse fleurs étaient posées sur lui et sur le "brancard". Un homme devançait la procession en lançant soit des pétales de fleurs, soit du riz soufflé. Des pétales de fleurs était également parfois lancés sur le défunt. Arrivé près du fleuve, le mort fut déposé par terre et toute une série de rites s`ensuivirent. L`atmosphère n`est pas empreinte de solennité comme en France. Il y a du respect et plus de rites à effectuer que pour un enterrement catholique mais chacun ou presque agit comme s`il faisait une chose anodine, une chose comme une autre. On boit le thé et on discute. Il est difficile pour moi d`analyser correctement la situation car je ne connaissais pas les liens de chacun avec le défunt. En tout cas, une seule personne avait l`air triste et je pense que c`était le fils du défunt. On lui a coupé quelques cheveux, rasé les pattes et coupé les ongles avec une lame de cutter. Puis il s`est vêtu d`un vêtement blanc et a participé avec le prêtre à une série de rites. Les orifices du visage furent bouchés, puis le corps fut enduit avec un corps gras jaunâtre, les pieds peint en rouge, des épices jetées sur le corps, différents liquides et boules d`aliments passées par dessus la tête ou coulées sur le coté. Puis le corps fut transféré sur un brancard de bambou, porté par six hommes qui firent trois tours sur eux même avec le corps avant de le transporter à la chambre de crémation (Un simple four : j`étais déçu). Je fus invité à suivre chaque étape. Par respect, je ne pensais pas rentrer dans le temple et je ne pensais pas non plus rentrer dans la chambre de crémation mais les indiens me souriaient et me disaient de les suivre, Ils semblaient contents qu`un étranger prenne connaissance de leurs coutumes. Ils m`ont invités par la suite à prendre une collation et j`ai d`abord refusé pour ne pas m`imposer. Une personne m`a rattrapé pour m`expliquer que ce n`était pas correct de ne pas manger avec eux. Le partage de nourriture fait partie du rituel et chacun doit y participer. A la fin, le vieux prêtre hindou est venu me voir pour me dire que je ressemblais au Mahatma Gandhi avec mon bâton de marche, ce qui nous à fait mimer le personnage et rire ensemble. Lui aussi semblait agir comme s`il s`agissait d`un évènement comme un autre. Ce vieil homme très maigre mais rayonnant est parti tranquillement avec sa bicyclette sans attendre la fin de la collation et sans saluer personne. L`aspect dramatique de la mort n`est pas aussi apparent que chez nous. On pourrait même le croire absent. S`il existe, il reste caché et en suivant ces funérailles, j`ai pensé que la mort était beaucoup moins grave qu`on a l`habitude de le croire.
En arrivant dans ce cyber café, il n`y avait qu`un seul ordinateur disponible et en m`installant, j`ai remarqué que les lettres du clavier était effacées. J`ai tenté d`écrire de mémoire mais c`est très difficile. Alors, on m`a amené un autre clavier que j`ai voulu brancher mais on m`a arrêté en m`expliquant que ce clavier ne marchait pas et que si on me le donnait, c`était pour que je sache où se trouvait les lettres et que je les tape sur le clavier qui marche mais qui a les lettres effacées. J`ai essayé jusqu`à ce qu`un autre ordinateur se libère. Déjà que je dois copier- coller tous les accents car les claviers n`en n`ont pas…
Normalement, je devrais après demain trouver une toute petite route longeant le Gange de près et traversant de petits villages. Je devrais ainsi retrouver la nature, le calme et la vie rurale que j`ai perdu depuis Calcutta.