Ganga Sagar – Amtala en 4 jours.
C`est au moment de me rendre à la gare ferroviaire de Sealdah de Calcutta pour aller à l`île de Sagar que j`ai commencé à comprendre que l`aventure serait spéciale. J`avais acheté la veille un bâton en bois très dur sur le marché de Calcutta, un de ceux qui servent à descendre les articles accrochés au plafond des magasins. Un bâton est une aide pour la marche mais c`est surtout, grâce à la scansion du rythme, au lien accru qu`il donne avec le sol et à l`allure de pèlerin, un conditionnement psychologique et un style. Cela permet également d`éloigner les chiens, la plaie des voyageurs à pied ou à vélo. Dès Calcutta, avec mon gros sac à dos et mon bâton de marche, les indiens me regardaient curieusement et souvent en me souriant ce qu`ils ne faisaient pas auparavant, quand je semblais être un touriste comme un autre. Dans ce pays habitué aux pèlerinages, ils sentaient qu`il y avait quelque chose de spécial. Après deux heures et demi de train pour faire 100 kms dans des paysages très verdoyants, je me suis arrêté à Kakdwip, proche de l`île de Sagar. Cela à commencé à être très amusant. Dès la sortie du train et plus tard dans le village, les gens me regardaient fixement avec surprise, se retournant sans cesse sur mon passage car il n` y a probablement pas souvent de blancs venant à Kakdwip et de surcroît un qui marche. Par la suite, je me suis dit qu`il y avait trois critères pour savoir si l`on est vraiment en dehors des sentiers touristiques. Le premier est de ne jamais y rencontrer d`européens, le second est lié au niveau de surprise et d`amusement des habitants en vous voyant et le dernier, le critère définitif, étant que les enfants de trois à cinq ans ont peur de vous et, à votre vue, se réfugient en pleurant dans les jupes de leurs mères. C`est qu`il n`ont jamais, dans leur courte existence, vu de personnes à la peau blanche : une preuve absolue que l`on sera dans les jours à venir, complètement et sans compromis, à l`étranger.
C`est à la nuit tombé et après avoir traversé en bateau une partie de l`embouchure du Gange dans la baie du Bengale; puis l`île de Sagar en voiture collective, pour un trajet qui me paru interminable, m`inquiétant du fait que je doive parcourir cette distance à pied; que je suis arrivé dans un ashram complètement vide. Je me suis assis près du temple où trônaient de grands portraits de Ramakrishna, Vivekananda et Sarada Devi, puis au bout d`une heure, un vieil homme parut et apres avoir lu ma lettre de recommandation me montra ma chambre. Par la suite trois autres personnes arrivèrent, deux jeunes et un homme de 85 ans en parfaite forme physique et surtout vraiment adorable. J`ai passé une belle soirée avec eux et tous les repas du séjour furent également d`agréables moments d`échanges. Le lendemain, après une longue promenade sur la plage à regarder les bateaux de pêche et le séchage de petits poissons sur la plage, je me suis rendu à la mission Ramakrishna qui est en fait une école et un pensionnat. Swami Prankanshamanda Puri me fit l`honneur de la visite des differents bâtiments et je pus rencontrer les professeurs. Les enfants me suivaient partout, fort intrigués par cet étranger. Dans le temple, je ne faisais pas attention à eux en discutant avec les adultes et, me retournant un peu vivement, j`ai vu ce groupe de vingt enfants collé à moi, reculer avec stupeur, les yeux grands ouverts et quand je me suis mis à leur parler. ils étaient fascinés et, sans exagérer, dans une telle attitude qu`on aurait dit qu`ils s`attendaient à ce que je mette a léviter. C`était vraiment très drôle !
La troisième journée fut très douloureuse, mon mal de pied empirant. En plus d`une sorte d`énorme ampoule sous le pied gauche et d`autres sur les talons, j`ai également plusieurs ongles abîmés dont un qui me rentre dans la peau. Je ne comprends vraiment pas car j`ai déjà marché des milliers de km sans problèmes et ici, dès le début, c`est un festival de problèmes aux pieds. J`ai trouvé un petit hôtel le troisième jour et mon pied gauche commençant à saigner sous la voûte plantaire, je me suis arrêté à 20 km de Calcutta le lendemain. Continuer à forcer ne ferait que retarder la convalescence. J`ai donc pris le bus pour les vingt derniers km. Ces voyages en transport en commun sont toujours très amusant. On a le temps de bien voir les gens et les situations, la conduite est captivante et la décoration est toujours bien pittoresque. Dans celui là, il s`agissait d`une grande photo panorama d`une station de ski alors qu`il fait une chaleur écrasante au Bengale. Il est d`ailleurs amusant de voir les indiens commencer à mettre écharpes et bonnets parce qu`il fait 25 degrés au zenith (et oui, ça a beaucoup fraîchit depuis deux jours…)
Je suis donc maintenant à Calcutta pour une convalescence à durée inconnue. Je ne m`inquiète pas trop sur le timing car j`ai pu vérifier que je marchais très vite et il me sera possible de rattraper le temps perdu. C`est embêtant car je ne peux pas tellement bouger, allant même jusqu`à marcher à cloche pied dans ma chambre, tant j`ai mal. Je pense néanmoins qu`une petite semaine suffira mais il ne faut pas s`attendre à des nouvelles intéressantes car je ne pense pas faire grand chose malheureusement. Pour l`anecdote, j`avais à un moment réduit ma vitesse de marche de plus de la moitié tellement j`avais mal, et un indien que je dépassais m`a demandé pourquoi je marchais si vite. Cela pour dire que je peux être dans les temps à Bénares et Allahabad si mes pieds fonctionnent correctement. A la grâce de Dieu ! Comme dit Henri Michaux dans Un barbare en Asie : "Aux Indes, si vous ne priez pas, vous avez perdu votre voyage. C`est du temps donné aux moustiques."