Il y a deux moyens opposés de trouver la sérénité. Le premier est de jouir d`un environnement beau et tranquille, le second est de passer assez de temps à Kokata. La cité de l`interminable bruit, pour paraphraser Kipling qui l`appelait 'la cité de l`interminable nuit', conduit le visiteur à adopter l`attitude impavide des habitants face à l`imperturbable agitation de cette tonique tourmente. Kolkata serait donc une métaphore de la voie de Kali, une des branches de la mystique hindoue. En se proposant à l’adoration sous une forme macabre, noire, échevelée et maculée de sang, la Terrible, l`Obscure, la Dévoreuse incite l`adepte à se confronter à tous ce qu`il rejette habituellement : la mort, la destruction, le laid, l’impur, le sombre… Kali utilise la peur et le dégoût, pour pousser l`homme dans ses derniers retranchements, à la limite extrême où la raison n’a plus cours. En imposant la vision de ce qui révulse et terrorise, elle provoque un effroi tel qu’il réduit le mental au silence, met un coup d’arrêt à ses fonctionnements habituels, le précipite dans les profondeurs de l`être, dans ses zones inexplorées où sont tapies les angoisses mais aussi des forces inconnues et fait entrevoir l`au-delà du corps et de l`ego. La voie de Kali est la voie héroïque de la mystique hindoue (celle de Ramakrishna) car elle réclame un abandon total de soi ainsi que le courage de demander à voir ce qui peut anéantir. Il est certain qu`il est difficile de considérer d`un peu trop près la misère qui semble être une des fatalités de cette ville. Comment le riche européen peut il se positionner face à ce qui ressemble parfois à une cour des miracles ? Il est bien sur possible de donner quelques roupies sans être instantanément poursuivi par une foule de mendiants mais bien que cela soit utile cela semble également dérisoire face à ce gouffre de misère. Il faudrait alors s`engager et passer quelques mois dans une association humanitaire et je suis venu pour un projet plus individualiste, remonter le Gange à pied pour raconter une histoire.
Emporté par le trafic anarchique et oppressé par la chaleur de fin novembre (je n`ose imaginer la fournaise qui doit régner en été – On dit que le pont métallique d`Howrah Bridge, un des symboles de la ville qu`il est interdit de photographier pour des raisons de sécurité militaire comme le métro, grandit d`un mètre cinquante l`été car l`acier fond sous la canicule), j`ai souvent trouvé un peu de quiétude près des temples. Celui de Kalighat, le temple de Kali, représentant la déesse avec trois yeux rouges vifs, représentation unique en Inde et où les couples souhaitant avoir un enfant viennent attacher un petit caillou autour de l`arbre sacré. A coté du temple se trouve le fameux mouroir de mère Teresa. C`est encore davantage autour de l`étonnant temple jaïn de Sital Nath et du temple de Dakshineswar près de la Hooghly que j`ai pu me ressourcer. J`imagine donc que pour celui qui connaît la ville, il y a ça et la des endroits paisibles.
La tendance bureaucratique et le goût de la lignée des indiens interpelle l`européen. Il est étonnant en effet d`avoir à donner son numéro de visa avant de pénétrer dans un temple (Dakshineswar), ou d`avoir à inscrire le nom de ses parents sur le formulaire de l`hôtel. Je me souviens de cette discussion avec deux indiens près d`un ghat du fleuve. Ils voulaient tout savoir sur ma famille. La discussion finie, je suis allé m`asseoir un peu plus loin et j`entendais l`un deux raconter tous les détails de ma vie aux personnes alentours qui paraissaient fort intéressé ce qui est très amusant, il faut avouer. Pour d`autres raisons (depuis les attentats de Bombay) il m`a été également impossible d`acheter une carte sim pour mon portable, car en plus du visa, il est également nécessaire de donner les coordonnées d`une connaissance en Inde. Je n`ai pas très bien compris pourquoi il fallait que je remplisse trois formulaires pour envoyer par la poste un paquet. L`anecdote est amusante. Parti pour faire acheminer en France un paquet d`un kilo cinq me permettant d`alléger mon sac, je me suis fait interpeller en rentrant dans le bâtiment par deux personnes se présentant comme des 'empaqueteurs'. Habitué à me faire perpétuellement interpeller, je les ai ignoré mais après avoir fait la queue, l`employé de la poste m`a expliqué qu`il fallait faire envelopper et sceller mon paquet par ces personnes travaillant sur le trottoir. La poste indienne achemine mais ne prépare pas le conditionnement des paquet (j`avais pourtant tout mis dans un carton bien fermé). Pendant un quart d`heure, ce petit homme assis en position de lotus sur le trottoir s`est évertué à envelopper mon paquet avec plusieurs pièces de tissus qu`il a ensuite cousu à la main. Puis, il a cellé les parties cousues avec une douzaine de points de cire fondue qu`il a marquées d`un sceau. Ces infinies précautions sont vraiment fascinantes et le résultat admirable. Dans le catalogue des anecdotes, il est aussi amusant de s`apercevoir que pour prendre l`unique mais très longue ligne de métro de la ville, le prix n`est pas le même en allant dans un sens ou dans l`autre, ou que lorsque vous prenez le taxi, il faut multiplier par 2,4 le prix du compteur et rajouter deux roupies. (Il fallait multiplier par deux l`année dernière. Cela croît proportionnellement à l`augmentation du prix de l`essence et il serait trop coûteux de changer les compteurs.)
J`ai été très gentiment accueilli par l`adjoint du consul de France à Calcutta. Venu pour m`enregistrer en cas de problèmes sanitaires et pour anticiper d`éventuels problèmes avec les autorités indiennes, il m`a fait part des troubles de la guérilla maoïstes présentes dans de nombreuses régions de l`Inde pour défendre les paysans contre les autorités cherchant à exploiter les ressources naturelles du sous sol, ce qui passe souvent par des expropriations. Je ne pensais pas que 'le corridor rouge' était si étendu et surtout qu`il y avait également des problèmes au Bihar. Par chance, je passerai exactement au milieu de deux zones sujettes à ces troubles, le risque étant le refoulement par la police indienne. Autre problème : la dengue. On m`avait prévenu de beaucoup de choses à Paris mais pas de la dengue qui est parait-il est assez rependue. Le consul adjoint a lui même été malade pendant un mois et plusieurs officiels français de Dehli sont malades en ce moment. J`ai trouvé qu`il y avait dans tout ça rien de très inquiétant et je suis reparti satisfait de cette agréable visite en territoire français.
Je pars après-demain pour l`île de Sagar, haut lieu de la dévotion au Gange où je suis attendu à la mission Ramakrishna. Voici le site de la mission : http://belurmath.org/centres/