Ce fut une semaine de marche bucolique et tranquille sur une route entêtée qui me persuade d`aller au loin vers des ailleurs toujours plus enchanteurs et je me laisse follement abuser par cette rassurante utopie tout en sachant qu`il faudra un jour dévorer la chimère. La journée qui me fit me separer à regret de Varanasi fut physiquement éprouvante mais me laissa de belles images en souvenir. Tout en saluant les pêcheurs, en observant les travaux des champs, j`ai profité de la vision majestueuse du fleuve élargissant son cours sous un soleil radieux. La difficulté de marcher dans le sable ainsi que les obstacles à franchir me firent quitter la rive au jour mourant et rejoindre la route où l`approvisionnement en eau et en nourriture est aisé. N`ayant pas marché depuis longtemps, j`ai eu envie de collectionner à nouveau les kilomètres et j`ai profité d`une belle marche à la fraîcheur des ombres de la lune. La route a aussi ses bons cotés car on y fait de belles rencontres. Alors que j`étais en train de plaisanter avec deux adolescents qui me suivaient depuis une demi-heure et à qui j`avais chipé le vélo, en leur faisant croire que j`en faisais mon bien, deux européennes se présentèrent à bicyclette. C`était la première fois que je rencontrais des étrangers sur la route et la chance fit que ces sympathiques jeunes filles furent des compatriotes. Deux françaises allant de Varanasi à Haridwar à vélo. J`ai par la suite croisé plusieurs éléphants qui, de leur pas tranquille, vont à un rythme deux fois plus élevé que celui de l`homme. Après presque trois mois de séjours en Inde, je me sens vraiment en confiance et lorsque le crépuscule fait son apparition, je quitte la route, me dirige dans le petit village qui la borde et, en demandant tout de même la permission, m`installe en plein milieu. Je défais mes affaires, commence à installer ma tente et à chaque fois une personne m`invite chez lui. C`est une très bonne technique que je vais sans scrupules continuer à mettre en pratique. Les soirées passées au sein de ces familles sont vraiment magiques. Il y eu un soir où les deux parents, les cinq enfants (deux garçons, trois filles comme dans ma famille) et moi même passèrent trois heures très agréables au coin du feu. Les jeunes parlaient un peu anglais et j`utilisais mon guide de conversation hindi, ce qui était prétexte à beaucoup d`amusements. Il faut avouer que les indiens ont vraiment le sens de l`accueil du voyageur et la fascination de l`étranger. En en parlant avec un des jeunes hommes, il m`a dit qu`à l`école, on leur apprenait à considérer l`étranger comme un dieu. C`est le mot qu`il utilisa et que je lui fit répéter. Je crois que les indiens sont un peu platonicien et ont vraiment le goût des archétypes. Comme lorsque qu`ils touchent le front d`une vache, non qu`ils respectent particulièrement cette vache là, mais à cause de l`idée qu`elles représentent en lien avec leurs mythes, il semble que l`étranger, au delà de son coté exotique, soit synonyme de bonne fortune. Je crois que c`est également parce qu`il représente la prospérité que plusieurs personnes m`ont encore touché les pieds cette semaine. Le premier homme semblait tout de même vouloir obtenir quelque chose et il me demanda de l`eau, que je ne pu lui donner, vu l`importance qu`elle a pour moi. Il me retrouva ensuite sur un pont du Gange et voulu m`offrir une petite pièce d`étoffe qu`il finit, face à mon incompréhension, par jeter dans le fleuve. Cela me surpris davantage lorsque ce fut un enfant de six ans qui, après être timidement resté près de moi, vint rapidement toucher mon pied droit avant de partir en courant. C`était également étonnant de voir tous les jeunes d`un village, où je passais la soirée, vouloir que je leur écrive mon nom sur leur main. Toutes ces rencontres firent que j`ai beaucoup apprécié cette semaine de marche et que je n`ai point regretté de n`avoir pas accepté la proposition de cette équipe de télévision française qui m`invitait à aller à Allahabad en bateau. J`ai un peu hésité car la traversé est belle mais je crois que je serais heureux de me dire un jour que j`ai remonté le Gange à pied.