Cela m`a toujours fasciné de voir à quel point les changements sont rapides lorsque l`on traverse une frontière et même une frontière régionale. Que cela soit dans mes voyages à pied ou à vélo, je remarque les variations lors de la première demi-heure et rapidement l`Uttar Pradesh s`est présenté comme une région plus prospère que le Bihar. Je fus d`abord étonné par l`excellent état des routes, ressemblant trait pour trait à nos plus belles départementales, l`environnement étant tout de même quelque peu différent. Les cultures sont plus abondantes, les arbres plus nombreux et, intuitions et rêves volant de concert, c`était élaboré en mon esprit l`idée qu`une beauté spéciale m`attendait en Uttar Pradesh, beauté qui se dévoila être une songerie végétale particulièrement verdoyante déclinant des nuances olive, émeraude, jade, agate ou grenouille. Comme quoi, il suffit parfois de traverser un pont pour que tout change. Après deux semaines d`un ciel envahi d`une brume épaisse, mon arrivée en Uttar Pradesh fut également synonymes de soleil. Il ne sera pas nécessaire d`attendre fin février pour avoir chaud : lorsque le soleil n`est pas caché, la température fluctue entre vingt et vingt cinq degrés l`après midi, en plein mois de janvier, mais chute à cinq ou huit la nuit. Cela faisait également quelque temps que je n`avais pas marché si près du Gange dont les rives sont moins polluées qu`avant, ce qui donnerait presque envie de se baigner. Sa largeur s`est bien réduite depuis Patna mais un jour où je longeais un fleuve de la taille de la Seine, j`étais surpris d`être si près du Gange et ma carte m`appris que c`était un autre 'petit' fleuve qui le longeait à deux kilomètres : une rivière de la taille d`un fleuve.
J`ai assisté à beaucoup de cérémonie dans des temples au bord du Gange. Nous étions souvent très peu nombreux et je pouvais être parfois juste à coté ou en face du prêtre qui officiait. Il s`agissait de chants, de guirlandes de fleurs posées autour du lingam (pierre dressée d`apparence phallique représentant le dieu Shiva) qui était également arrosé de lait et de beurre clarifié, puis les guirlandes de fleurs étaient également déposées autour du cou des différentes divinités du temple. La cérémonie du feu clôture la liturgie et consiste à attirer l`énergie divine à l`aide de candélabres pendant que des musiciens jouent tambours, cloches, disques métalliques à percussion et harmonium.
Je rencontré sur la route des sadhus, des renonçants ou des musiciens allant à la Khumb Mêla. Nous nous sommes arrêtés nous réchauffer, les deux musiciens et moi même, autour d`un foyer sur le chemin, et apprenant que je faisais le Ganga Paj Yatra (pèlerinage du Gange), ils ont joués de leur cithare pour moi. C`est assez réjouissant de rencontrer des hommes se dirigeant à pied vers le plus grand rassemblement religieux du monde car j`ai l`impression d`une communauté d`esprit et de ne pas être le seul fada à marcher. Ces hommes m`étonnent beaucoup car contrairement à moi ils ne possèdent rien pour voyager et malheureusement mon hindi est trop pauvre pour comprendre leur réponse quand je leur demande où ils dorment car il fait très froid la nuit. Ils semblent mettrent en pratique un des messages de l`évangile : ''Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n`est elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel ; ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n`amassent point dans des greniers et votre Père céleste les nourrit. [...] Chercher d`abord le royaume et la justice de Dieu et tout cela vous sera donne par surcroît. [...] Ne vous inquiétez donc pas pour le lendemain : le lendemain s`inquiétera de lui même. A chaque jour suffit sa peine" Matthieu 6. 25-34
J`ai dormi dans des endroits assez improbables, les pires des Guest House qui sont déjà en soit des endroits très spartiates : immeubles délabrés, ouverts à tous les vents. Dans l`une d`elle le propriétaire était suspicieux de voir un étranger dans sa toute petite ville, alors après avoir fait des photocopies de mon passeport (ce qui arrive souvent) nous sommes allés en moto (sans casque bien sur) m`enregistrer au commissariat du coin. Les policiers portaient de très vieux fusils sur l`épaule et longtemps je les ai regardé farfouiller à la lampe de poche (pas d`électricité bien sur) et remplir des papiers à mon sujet en mangeant assis mes cacahuètes. Le gérant de la Guest House a rempli une page entière à mon sujet et franchement je me demande bien où il est allé chercher toutes ces idées sur moi. Le lendemain, alors que je traversais une petite ville, un homme qui marchait de l`autre coté de la route m`a demandé de m`arrêter puis est venu me retrouver, s`est courbé, a touché mon pied droit avec sa main droite et, se relevant, a touché son coeur. Il m`a regardé un instant puis est parti. Heureusement que je ne suis pas trop sujet à l`infatuation car j`aurais pu penser que j`avais une aura extraordinaire. J`ai appris plus tard que c`était une manière de me demander de l`argent. Ce qui est curieux c`est que cet homme de soixante ans n`avait pas vraiment l`air d`un mendiant et que normalement ils font le signe sans équivoque de diriger leur doigts vers l`intérieur de leur bouche pour dire qu`ils ont faim. Je suis passé après à Nandganj, la ville des singes. Il y en a partout et comme se sont de petits singes qui ont peur de l`homme, je me suis vengé du grand singe qui m`avait attaqué en les faisant déguerpir. C`est vraiment très drôle car ils possèdent une rapidité et une agilité inouïes. Cela m`a fait revivre mes émotions d`enfant de cinq ans quand je faisais la même chose avec les pigeons. Petit sentiment de puissance qu`on apprend par la suite à modérer.
Dans le catalogue des questions amusantes et des visions pittoresques, je me souviens de ces guichets d`information de la gare de Patna (pour faire ma petite escapade à Bodhgaya où le Bouddha atteignit l`éveil), où après avoir fait la queue, bousculé dans tous les sens comme d`habitude et en tentant de conserver sa place, on se retrouve à parler à une télévision d`un autre âge, car les guichetiers sont dans une autre piece et vous répondent par écran interposé : vraiment très surprenant ! Quand je chemine sur la route les indiens me demandent : '' Who are you ?'', ''Are you going somewhere ?'', ''What is your village ?'', ''You are only one piece ?'' (Oui, oui, je ne suis vraiment pas détachable…) Je me souviens de cet amusant panneau routier dans le style : "Stop accidents before they stop you"', celui ci :'' If you want to stay married, divorce speed". J`ai été invité à déjeuner dans une école dont le slogan était : ''From darkness to light'', tout un programme ! Sur la route, des hommes possédant un étale de nourriture sont tellement stupéfait de voir un blanc, qu`ils ne bougent plus, ils sont statufiés. Un adolescent fut totalement incapable de me servir du thé et c`est un autre homme qui a du le faire. Un homme qui faisait des omelettes (ils ont des oeufs et un réchaud sur un tréteau et ne font que ca) et a qui je demande ''omelet" (mon langage est souvent assez basique et de toute façon ils ne connaissent que quelques mots d`anglais) me regarde en souriant en me répétant "omelet", puis je répète à mon tour en montrant les oeufs, la poêle et en faisant signe de préparer le tout et on continue à nous répéter le mantra culinaire mais rien à faire, il sourit bêtement en me regardant et ne fait rien. OK, nous nous sommes donc mit d`accord sur le fait que votre profession consiste à faire des omelettes, c`est super, pouvons nous maintenant passer à la phase 2 qui consisterait à mettre en oeuvre cette pratique ? Cela a duré cinq minutes et franchement, j`ai beaucoup rit, c`est un super souvenir de me remémorer la tête du bonhomme et son incompréhension, sa volonté manifeste de vouloir bien faire et pourtant d`en être totalement incapable. Par la suite, j`ai joué à cache cache avec des enfants dans le jardin de leur maison et les sentiments d`attraction répulsion qui caractérise ce jeu étaient vraiment exacerbés car l`étranger que je suis les captive mais leur fait également vraiment peur alors c`était très drôle, joyeux et candide. Ils ont longuement salués mon départ.
Le soir de mon arrivé à Saidpur, j`ai eu plus de mal que d`habitude à trouver un endroit pour dormir. Tout d`abord, deux personnes m`ont dit qu`il n`y avait ni lodge, ni Guest House (ni bien sur d`hôtel mais ça c`était évident) et comme l`habitude m`a appris à calculer grace à la taille de la ville la probabilité de trouver un hébergement et de quel sorte, j`étais sur qu`il y avait quelque chose à Saidpur. J`insistais donc et découvrais que ces messieurs, comme cela m`était déjà arrivé, considéraient que les logements qui existaient n`étaient pas assez bien pour moi. Il n`y a rien qui peut m`énerver davantage : que croient t`ils ? Que parce que je suis un européen, j`ai besoin d`un palace. Comme si la richesse apportait à l`individu plus de mérite ou d`importance. Quelle absurde, ridicule et triste idée ! J`allais donc dans la première Guest House qui ne voulu pas m`accueillir sans que j`arrive à savoir pourquoi. Il y en avait une deuxième et en arrivant un homme du nom de Sujdi m`a dit que toute la maison était réservé pour le mariage de sa nièce mais qu`il m`invitait volontiers à assister au mariage, ainsi qu`à dîner et dormir. Le dîner fut un buffet et son frère et lui même n`avait de cesse de me faire découvrir les nombreuses et succulentes spécialités indiennes. Seulement, ayant pris l`habitude de manger frugalement, il me fut très difficile d`absorber tout ce qu`ils voulaient m`offrir car ils n`arrêtaient pas de me faire manger et bien que j`ai fini par refuser très fermement, il était impossible de les convaincre. De nombreux invités venaient me parler, les jeunes me prenaient en photo avec leur téléphone portable et me demandaient mon email. Une musique techno déflagrante explosait dans la pièce et plusieurs jeunes sont venu me chercher à différents moments pour que je vienne danser, ce que j`ai accompli avec beaucoup de savoir faire… Puis après le dîner, le marrié arriva sur un grand char décoré de fleurs et de guirlandes lumineuses et tiré par deux chevaux. A sa descente, il fut porté par la foule qui le jetait en l`air tout en lançant vers le ciel des fleurs et des liasses de billets de banque pendant que les autres invités dansaient au son d`une musique traditionnelle fracassante. A l`intérieur, le marié habillé en maharadjah s`assis sur un divan très kitch et reçu un à un les félicitations des convives. Au bout d`une heure, ce fut l`arrivée de la mariée qui attendait depuis des heures à l`étage. Elle était couverte de bijoux, bracelets, parures et son entrée fut beaucoup plus calme. Elle s`assis à coté de son futur mari et la cérémonie de mariage commença en enchaînant mantras et paroles auxquelles je ne comprenais rien. La mariée semblait complètement déprimée et cela faisait vraiment peine à voir. C`était même assez dérangeant pour moi alors que tous les convives semblaient ne pas s`en apercevoir et souriaient et se réjouissaient. Elle soupirait souvent et semblait se morfondre. Un grand portrait de bouddha trônait à cote d`eux (alors qu`ils sont hindous) et ils y allumèrent des bougies en récitant des mantras. Puis comme ils étaient assis, des membres de leur famille les couvrirent de fleurs et tournèrent devant eux des candélabres de feu. Je ne suis pas resté jusqu`à la fin car la cérémonie était interminable et après 40 km de marche et un lever à six heures, j`ai pensé que minuit était une très bonne heure pour me coucher. Je suis allé dormir dans un grand hall où de nombreux invités dormaient les uns à coté des autres. Le lendemain matin, Sudji m`a très gentiment offert de nombreuses pâtisseries pour ma route et en disant au revoir au marié, j`ai remarqué qu`il avait une dizaine de grains de riz collé au milieu du front.
Quelle joie ce fut de me diriger vers Varanasi ! J`étais crevé mais les dix derniers kilomètres furent chargés d`émotion. Je fusais et j`étais au bord des larmes, j`avais envie de dire à tout le monde que je venais de Kolkata à pied. Kolkata – Varanasi à pied : quel parcours, que de souvenirs, que de gens rencontrés ! Il faisait de surcroît un soleil radieux et mon premier spectacle en arrivant en ville fut de voir une procession sikh où une trentaine de personnes nettoyaient le sol à l`aide de balais en aval d`un char où des prêtres distribuaient des friandises. Puis, je suis arrivé près des ghats et le choc fut important car il y règne une atmosphère magique et que je me suis dit que cet endroit était vraiment l`Inde que rêve les européens mais que c`était aussi une Inde de carte postale, très différente, bien que sublime, de l`Inde que j`ai pu côtoyer au jour le jour, mètre après mètre. Je suis très content d`avoir une vision plus complète de ce pays car cela me permet de ne pas succomber à l`idéalisme et de voir les choses comme elles sont. Souvent, lors de ma marche, je me suis dit que l`Inde était différente de celle que j`avais vu il y a sept ans en touriste et j`ai été surpris de ne pas voir ce que je m`attendais à voir en pensant à cette belle phrase de Chesterton : ''Le voyageur voit ce qu’il voit, le touriste voit ce qu’il est venu voir.'' Vanarasi est vraiment une ville touristique et de nombreuses personnes viennent à la rencontre des touristes pour leur proposer différentes choses. Comme je ne viens pas de débarquer de l`aéroport, je m`en suis beaucoup amusé au début et je me suis vengé des centaines de questions que l`on m`a posé tous les jours sur la route. Ces vendeurs commencant souvent par demander "Where are you going?'', je leur réponds en souriant : "And you, where are you going?, Where are you coming from? What is your name? What is your father`s name? What is your mother`s name? Are you married? How many children do you have? What is your village? What are your qualifications? : ça les fait marrer et ils s`en vont. Ou alors je leur dit ''Kal âié ga'' ce qui veut dire :''Revenez demain, s`il vous plait'' ou quand je les vois venir de loin et avant même qu`ils ouvrent la bouche : ''âpkâ nâm kyâ hè ?'' Ce qui veut dire "Comment tu t`appelles ?'' Ils me répondent et ont discutent un peu.
Merci !!! J'ai le sentiment de marcher avec toi. Tu as profondément raison dans ta réflexion sur les photos, finalement tes mots partagent bien mieux ce que tu vois et découvres que le cliché statique d'un moment fugace, même magnifique, dans tes mots on sent le temps qui passe, la joie, la fatigue, l'énervement, la vie ! Tout ce qu'une photo ne traduira jamais.
Bref, je me régale de ces pays indiens que tu nous fais voir à travers ton regard. Merci !
Un ex-chef